OBSTACLES CLASSIQUES POUR LA PHOTOGRAPHIE DE NUIT
Avec la photographie de nuit, on est capable de capturer une scène avec une lumière assez inhabituelle -- un peu comme "l'heure d'or" au lever ou coucher du soleil qui peut ajouter un élément d'ambiance unique. Tout comme la photographie de sport et de paysages poussent l'appareil dans ses limites d'obturation et d'ouverture respectivement, la photographie de nuit requiert des extrêmes dans les deux domaines (voir ci-dessous).
A cause du manque de familiarisation et des contraintes techniques, la plupart des photographes rangent leur appareil et déclarent la fin de la journée dès le coucher du soleil. Cette section a pour but de familiariser le photographe avec les obstacles rencontrés la nuit et comment les surmonter.
CONTEXTE
De nuit, les contraintes sont les mêmes qu'avec la lumière de jour -- c'est-à-dire ouverture, vitesse d'obturation et sensibilité -- bien que dans un cas ceux-ci soient poussés à l'extrême. Pour cette raison, l'essor des clichés nocturnes est assez étroitement lié aux progrès de la technologie. A l'époque des appareils analogues, les photographes ne s'intéressaient guère à la nuit puisqu'il fallait des temps d'exposition prohibitivement longs pour maintenir une profondeur de champ raisonnable, ou bien le niveau de bruit était inacceptable. De plus, un problème majeur appelé "l'échec de réciprocité" signifie que de plus en plus de lumière doit atteindre la film au fur et à mesure que le temps d'exposition augmente -- une non-linéarité qui biaise les retours. Enfin, même si une exposition correcte est trouvée, le photographe devait attendre que le film soit développé pour dire si le cliché est réussi -- donc un degré d'incertitude absolument décourageant après avoir veillé tard et passé des minutes voire des heures à capturer chaque photo.
COMPROMIS AVEC LE DIGITAL
Heureusement pour nous, les temps changent. Les appareils modernes ne sont plus limités par la réciprocité en fournissant un retour instantané sur l'exposition -- ce qui réduit grandement le risque de passer des heures dehors pour rien.
Néanmoins, l'arrivée du digital ne résoud pas toutes les contraintes techniques: des compromis entre profondeur de champ, exposition et bruit sont incontournables. Le diagramme ci-dessous illustre les combinaisons possibles pour une scène sous la pleine lune à exposition constante:
Notez les compromis qui sont à faire dans chacun des scénarios. Pour une scène statique, les scenarios 2, 3 ou 4 sont préférables. Pour chaque scénario, il y a des astuces pour limiter le compromis, avec entre autres: le moyennage, la superposition etles plans focaux multiples (à venir). A noter aussi que le temps minimum d'exposition est d'au moins une seconde -- ce qui rend un trépied indispensable.
Quelques contraintes supplémentaires sont ici négligées: la perte de résolution due à ladiffraction et une susceptibilité accrue au bruit à motif fixe pour les expositions les plus longues. Ce type de bruit particulier (désavantage pouvant devenir terriblement contraignant pour les expositions très longues) fait penser au problème de réciprocité rencontré avec un film. Et enfin, les mouvements de la lune et des étoiles peuvent également limiter le temps d'exposition (voir ci-dessous).
SUR LA LUMIERE DE LA LUNE
Tout comme on fait attention à la position et à l'angle du soleil pendant la journée, il faut faire de même la nuit avec la lune. Une lune rasante peut impliquer des ombres longues, alors qu'une lune au zénith écrase les sujets avec des ombres orientées vers le bas.
Il faut considérer différents degrés d'intensité en fonction du moment dans le cycle lunaire. La pleine lune permet d'augmenter la profondeur de champ et/ou de diminuer le temps d'exposition alors que la nouvelle lune permet de capturer un ciel étoilé. En d'autres circonstances, une lune intermédiaire peut fournir un bon équilibre avec une source de lumière artificielle (ex. candélabre).
Calibrer le temps d'exposition peut s'avérer très délicat; utilisez f/2 et 30 secondes à ISO 100 pour un premier essai, envisagez ensuite les scenarios 1 à 4 en fonction du résultat. |
Un autre facteur potentiellement important pour l'illumination est le mouvement des sources lumineuses. Une exposition de quelques minutes est suffisante pour observer les conséquences du mouvement de la lune. Cela a pour effet d'adoucir les arêtes des ombres et peut donc donner l'impression d'une lumière plutôt plate.
Ombres de branches sur le chemin: | |||
Choisir l'exposition: | |||
Photographie avec pleine lune | 1 minute | 4 minutes |
Avec 1 minute d'exposition, le contraste avec les zones d'ombres est fort et on distingue aisément les branches secondaires, alors que 4 minutes suffisent à réduire le contraste et à masquer les petites branches. Bien entendu, le temps d'exposition peut varier largement plus qu'un facteur 4. L'effet démontré ci-dessus sera alors décuplé.
Les clichés qui contiennent la lune directement dans le cadre sont aussi sujets au mouvement des astres. Grossièrement, la lune se déplace de son propre diamètre environ toutes les deux minutes. Ainsi, 30 secondes suffisent pour donner à la lune une forme de "patatoide".
LUMINOSITE DANS LE VISEUR
Il peut s'avérer difficile de composer une image à travers le viseur lorsque la luminosité est particulièment faible. Et même si vous souhaitez utiliser une petite ouverture, l'ouverture la plus large peut fournir une meilleure luminosité pour effectuer la composition. Pour apprécier l'effet de l'ouverture sur la luminosité apparente, vous pouvez employer le bouton "apercu profondeur de champ" (généralement situé sur le boîtier à la base de l'objectif).
La facon dont un appareil réflex redirige la lumière de l'objectif vers le viseur peut aussi avoir une incidence sur la luminosité percue. Les appareils équipés d'un pentaprisme (par opposition au pentamirroir) garantissent que peu de lumière ne se perde en route, mais cet amélioration a un coût non négligeable. Les capteurs grand-format fournissent aussi une luminosité accrue (comme un 35 mm comparé à des facteurs 1.5-1.6X plus petits) . Et enfin, assurez-vous que vos yeux ont eu le temps de s'adapter à la faible luminosité ambiante, ce qui peut prendre une dizaine de minutes selon la transition avec l'environnement précédent.
INFLUENCE DU VERROUILLAGE DU MIRROIR
Le verrouillage du mirroir (souvent abrégé MLU en anglais) est une caractéristique parfois disponible qui a pour but de réduire les vibrations induites par le claquage du mirroir (ce qui donne un bruit caractéristique aux appareils réflex). Ce système décompose la rotation du mirroir et l'ouverture de l'obturateur en deux étapes successives. De cette facon, les vibrations sont déjà atténuées lorsque l'exposition du capteur commence.
Ce système peut avoir une influence radicale sur la netteté lorsque le temps d'exposition est du même ordre de grandeur que la stabilisation du mirroir (environ 1/30 à 1 seconde). Pour la plupart des photographies nocturnes, cet effet ne sera pas dramatique puisque l'exposition est généralement bien plus longue. Néanmoins, si le trépied est peu stable ou la focale très longue, le temps de stabilisation peut s'allonger de plusieurs secondes (~8 secondes).
APPARANCE DES TRAINEES D'ETOILE
Même une exposition modérément longue suffit à révéler la rotation des astres dans le ciel. Plus la focale est longue et plus vous visez des étoiles éloignées de l'étoile polaire, plus l'effet sera prononcé. Cela peut produire un effet de trouble ou détourner l'attention de l'observateur si l'intention du photographe est de produire une image calme, donc statique.
Proche de l'étoile polaire | —> | Loin de l'étoile polaire |
Une focale habituelle (28-50 mm) permet généralement d'atténuer l'effet si l'exposition ne dure pas plus de 30 secondes. Si au contraire l'effet est recherché, une grande ouverture et une sensibilité moyenne (ISO 200-400) peuvent amplifier la luminosité de chaque traînée.
FOCUS ET PROFONDEUR DE CHAMP
Un bon focus est indispensable étant donné que les petites ouvertures sont souvent inutilisables, autrement dit la profondeur de champ doit être positionnée proprement (voir distance hyperfocale). Pour compliquer encore un peu la chose, la luminosité nocturne ou le contraste sont souvent insuffisants pour un auto-focus, et même à travers le viseur la faible luminosité rend un ajustement manuel long et délicat.
Heureusement, il existe quelques solutions pratiques. On peut par exemple essayer de faire le focus sur une source lumineuse située à une distance proche de celle souhaitée (pas nécessairement dans le cadre, regardez autour de vous). Sur la photo de gauche, l'auto-focus fonctionne parfaitement en utilisant la zone lumineuse en bas comme cible.
Le focus central est généralement le plus sensible, donc le plus approprié, même s'il faut refaire la composition par la suite. Si vous voulez faire un auto-focus à l'infini, pointez sur la lune avant de fixer votre composition. Alternativement, prenez une lampe de poche que vous posez au niveau du sujet, faîtes le focus dessus, puis enlevez-la et réglez le temps d'exposition. Si ces astuces ne sont pas possibles, on peut en dernier recours faire un focus manuel en se basant sur les marques de distance situées sur l'objectif (avec une distance hyperfocale appropriée). |
MESURE DE LUMIERE
Malheureusement, la plupart des capteurs de luminosité intégrés à l'appareil sont limités ou imprécis au delà de 30 secondes. Pour contourner le problème, on peut faire un premier réglage avec une grande ouverture (pour ramener le temps conseillé en dessous de 30 secondes), puis réduire l'ouverture au niveau voulu et multiplier le temps de base autant de fois que nécessaire. Alternativement, on peut utiliser un posemètre externe pour une mesure plus précise. Pour les expositions excédant 30 secondes, la roulette doit être placée sur "mode B" et un déclencheur externe doit être utilisé (ci-dessous).
Les scènes nocturnes qui incluent des sources lumineuses artificielles doivent idéalement avoir un histogramme clair-obscur, sinon il y aura des zones saturées. Si la mesure automatique de l'appareil échoue, un bon début est de faire la mesure sur un objet diffuseur directement éclairé par la source principale. Si cela ne fonctionne pas, pensez à faire plusieurs clichés à différentes expositions et évaluez grossièrement le résultat sur l'écran LCD.
Qu'est-ce qu'une exposition juste la nuit? Contrairement au jour où la référence est approximativement une carte gris 18%, il n'y a pas vraiment de base solide pour la nuit. On peut choisir de sous-exposer pour maintenir la noirceur de la nuit, ou essayer d'utiliser la totalité du spectre de tonalités comme avec la lumière du jour. Je conseille plutôt d'exposer pleinement et de stocker la photo en mode RAW. Cela laisse un peu de liberté pour réduire l'exposition a posteriori tout en maintenant un niveau de bruit raisonnable puisqu'une plus grande quantité de lumière a été collectée par le capteur.